J'ai toujours rêvé de fabriquer un rabot. Je n’arrête pas de regarder partout. Des Krenov. Des pas Krenov. Des Caleb James. Des anciennes varlopes que j'aurais copié. Un rabot de paume à angle faible, tout en bois... Je n'ai jamais osé. Ici en Afrique, acheter un groupe de coupe de chez Hock relève du fantasme. Quel bois prendre, dans un pays de bois comme la Côte d'Ivoire ? Enfin bref, plein de questions, toussa toussa.
Et à mes débuts de menuisier amateur, j'ai acheté deux rabots qui n'ont jamais été capables de produire le moindre copeau. Un truc immonde de chez INGCO, un marchand d'outils qui vend des trucs raisonnablement chinois, mais dont les outils à main, sauf peut-être les marteaux, n'ont aucun intérêt. Les vis de réglage et le fer ont servi à la fabrication de ma première wastringue. Le reste rouille tranquillement quelque part sur une étagère.
Et puis, ça... Sur Jumia, ça coûtait, je ne sais pas, 2000 F.CFA. J'ai commandé pour encore 1000 F.CFA des fers (vendus avec contre-fers) - des chinoiseries pas terribles mais qui pourraient servir, j'ai mis ça dedans. La largeur était bonne, mais ça ne rentrait pas. La vis qui tient en place le contre-fer contre le fer (oui, je sais, c'est un peu lourd) ne rentrait pas. J'ai fait une rainure au ciseau. C'est rentré. Mais bon, c'est vilain, pas terrible, moche, et ça marche mal. Et encore, dans la photo on ne voit pas les finitions.
Du coup, faute de fabriquer une réplique d'une "infill plane", me voilà parti pour transformer ce bout de bois en rabot.
Après m’être enfilé l'intégrale des restaurateurs de rabot en anglais, français et espagnol sur YouTube, me voilà au taf. Faut dire que le machin inspire pitié...
On sort ma Sweetheart fétiche, on constate qu'après la séance de cosmétique d'il y a une semaine on a poussé un peu trop loin le socle, on re-règle, ça y est. Vas-y tonton. Tiens, bizarre... la lumière, là... c'est devenu vilain (je commence à parler comme mes jeunes conducteurs de travaux ivoiriens, ceux-là même qui m'ont introduit dans le monde merveilleux des maquis d'Abidjan). Pas grave, on va rajouter une semelle. Hm, j'ai cherché partout (déjà que je ne sais pas bien de quel bois ce truc-là est fait). J'ai un reste de dabéma - un genre de bloc que j'ai débité à la scie de table, ça va faire l'affaire. Pas très droit, il est passé au rabot lui aussi. Maintenant on le colle. Bon, je vous avoue, question colle c'est pas facile ici. J'ai acheté des choses, ça tient un peu, mais quand j'ai commencé à taper dans la semelle pour créer une lumière, ça a giclé. OK, j'ai compris. Je passerai à l’époxy.
Allons seulement... On passe aux poignées. La "corne", c'est même pas la peine même. Déjà la forme... Alors j'ai pris une feuille, un gros feutre, j'ai mis ma main dessus et j'ai dessiné quelque chose de plus sympa. J'ai pris modèle sur les rabots allemands, genre ECE. OK, je n'ai pas les paluches d'un übermensch. Mais quand même, le rabot est petit, malgré le rajout de semelle. Bon, on ajuste sur le dessin, on prend un bout de bois qui parait adapté, on passe à la scie sauteuse montée sous table (les amis, jamais, au bon jamais ça ne va remplacer une scie à ruban. Mais faute de grives...). C'est pas du dabéma, je n'en ai plus. J'ai pris du framiré, il me reste quelques morceaux que j'ai raboté et mis de coté (ce qui me rappelle la question d'un Youtubeur, il y a quelque temps, histoire d'ouvrir un débat - "en dessous de quelle taille on jette ?". Ça finira par éclater sous les coups du grand maillet, j'avais fait une mortaise un brin plus courte que le tenon, mais ça l'fait, à coups de râpe et de papier verre grain 40 tout ça est presque devenu bon. Et plus adapté à mes paluches de untermensch (en allemand dans le texte). Ah, pour la mortaise, j'ai fait un gros trou au vilbrequin. eBay m'a livré un vieux outil Chapman, made in perfide Albion. Magnifique. J'ai mis mèche française dedans. Ils n'ont pas refait Azincourt, ça a bien bossé ensemble, on dirait Manu et Keir en pleine lune de miel.
L'étape réfection de la lumière dans la nouvelle semelle a été la plus pénible. Le dabéma dur comme ça m'a fait affûter trois fois de suite mes ciseaux (j'ai pris les japonais, je me suis dit que l'acier type "katana" ne ferait aucun prisonnier, mais non, dabéma africain coriace que fer japonais. "Ya pas drap" (ça veut dire "il n'y a pas de problème" en nouchi, argot ivoirien haut en couleurs, une merveille pour qui maîtrise. Pas moi, mais je m'améliore. Et si tu mets deux ou trois mots de nouchi ou bien de dioula dans la conversation sur le marché tu gagnes 10-15% sur le prix des bananes)
La colle blanche a fini par céder, j'ai mixé un peu d’époxy, c'était écrit "prise rapide" sur le pot, mais visiblement ça ne marche pas pareil en saison des pluies. Oui, oui, je sais, l'époxy n'aime pas l'humidité. Mais là aussi, ça a fini par durcir.
Voilà, c'est presque fini. Le fer ne rentre pas. Zut alors... Problème patron ? T'es dans pain là. Pas de souci, on ressort la quincaillerie japonaise, plus une mini ciseau Marples qui va bien (oui, je sais, eBay a fond depuis deux ans, il n'y a rien à faire, j'aime le "vintage"). Après une bonne heure de combat j'ai fini par retrouver une dimension et une inclinaison qui accepte mon ensemble fer et contre-fer chinois. Et maintenant, il ne reste plus qu'a faire une finition dessus.
Maintenant, on fouille dans le placard, et on retrouve le petit bocal de Danish Oil maison. Super, il en reste un peu (je ne me sentais pas le courage de jouer à nouveau à Ali le chimiste, déjà qu'avec l'époxy...). Un coup partout. Ça boit comme un polonais. J'dis ça... Dans les maquis je n'ai vu aucun polonais. Mais les dioula, ça envoie sec. Enfin, pas sec. De la Bock, de la Beaufort, de la Heineken, tout. Plus une horreur locale, le Valpierre, le vin des ébrié, une piquette livrée de France en vrac et mise en bouteille ici. Soi-disant, il y a eu beaucoup d'amélioration. Je n'ai pas envie de savoir comment c'était avant...
Bref, voilà, c'est fini. J'ai mis beaucoup de couches, le dabéma était bien sec après quelques mois de séjour dans l'atelier. C'est joli, avec ça. Et en tout cas ça a une autre bobine que le truc d'avant. On verra demain ce que ça fait comme copeaux. Au pire, en déco ça rend bien.
Bonne nuit amis boiseux.
Édit, le soir.
Testé sur du bois tendre, probablement du pin, une planche de palette. Même avec le fer chinois, réglé à la va-vite, ça a pris un copeau très régulier, même si un peu gros. En affûtant correctement le fer et en réglant au mieux, ça ira encore mieux. Je confirme, un rabot en bois, c'est un vrai plaisir.
Discussions
Moi aussi j'ai commencé humblement la menuiserie, j'ai acheté des trucs vintage sur ebay, des rabots en bois chez Emmaüs ! J'ai passé des heures à retaper ces vieux outils, à lire tous les articles publiés ici ou sur d'autres sur le Web.A la fin j'ai un jeu de rabot pas trop mal une fois équipés de fers Peugeot. J'y ai appris à être soigneux avec mes outils et à bien affûter mes lames sur des pierres japonaises. Car sans une bonne arête de coupe pas de copeaux !
Accroche toi et continue.
C'est un peu ce que je fais depuis pratiquement deux ans, j'ai une collection de rabots qui couvre déjà pratiquement tous mes besoins, une série de rabots métalliques (des Stanley, Sargent, Dunlap et un petit dernier, un joli ne 4 de chez WS) et des en bois (une grande varlope et une plus petite de chez Peugeot), un guillaume de chez Goldenberg et mon petit bijou, un bouvet en bois). eBay est une bonne source, même si on paie une fortune de frais de livraison. Mais ce rabot en bois, ça fait un moment que ça me démange de le refaire...
Quelle histoire !
Finalement, peu importe le résultat, ce qui compte est le chemin et tout ce que tu as appris, que tu pourras réinvestir dans ton prochain rabot.
Ya pas de vieux rabots Goldenberg qui traînent en Cote d'Ivoire ??
Pour la semelle, Goldenberg à utilisé beaucoup d'Azobé (ce qui j'en convient est fort dur à tailler à la main). Un autre bois dur serait le Tali.
Ça donne envie de t'envoyer quelques fers anciens bien épais...
Et puis, finalement, tu pourrais faire un fût en partant de zéro
Et si tailler dans la masse est trop compliqué pour commencer, tu peux couper le fût en deux par le milieu, tailler l'embouchure du rabot, et recoller les deux morceaux (avec quelques tourillons).
Merci beaucoup dneis. J'ai un peu de Goldenberg dans ma collection, eBay a égaré ça en Côte d'Ivoire. Une plane, une gouge... Mais surtout mon guillaume, que j'utilise régulièrement et qui est génial. De toute façon tes articles sur les rabots m'ont beaucoup servi (et continuent à me servir, c'est comme ça que j'ai appris à comprendre les symboles sur les fers Peugeot). En fait, faire un rabot à partir de zéro c'est une envie qui me travaille depuis un moment mais ce temps ci j'ai peu de temps pour ça, le petit rabot en dabema c'était par "challenge", parce que j'avais envie d'en tirer quelque chose, parce qu'un objet en bois peut toujours être peaufiné, parce que... Aussi parce que hier je n'avais pas envie d'allumer mon ordi, grève des architectes (enfin de moi même et ma pomme) donc je me suis caché dans l'atelier. Bientôt il y aura un petit bateau qui partira en chantier, là, tout ce matos va chauffer.
Azobe et Tali on trouve ici, en principe. Pas toujours mais on trouve. Mais là il était question de trouver une chute quelque part. En tout cas, le morceau que j'ai, pour être dur, il est dur. Le dabema si on évite l'aubier est assez costaud, ça desaffute bien les ciseaux.