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LaurentBauvir

Tables de chevet lévitantes


Cette petite histoire est un éloge à la lenteur et commence il y a une trentaine d'années lorsque l'érable dans le jardin chez mes parents a la mauvaise idée de se planter trop proche de la maison et de la terrasse, soulevant tout sur son passage. Ne riez pas, c'est un de leurs tours favoris, preuve en est que le problème est toujours bien présent dans les plantations récentes ! Le coquin est alors abattu sans autre forme de procès et destiné à être brûlé. Mais tout de même, au moment de couper le fût, j'avais hésité, le trouvant certes de petit volume mais très droit et de joli fil. Je l'avais donc laissé en morceaux d'1m20, simplement fendu en deux, laissant une chance à en faire du bois d'œuvre plus tard. Il a séché quelques années comme ça, puis au moment de le reprendre ce fut le même dilemme. Après en avoir coupé deux morceaux en 30cm j'ai tout arrêté et suis allé le débiter en planches de 22mm. Je ne suis pas équipé pour ça, mais c'était le premier confinement alors j'avais le temps ! Je n'ai pas regretté, la moralité est donc qu'il ne faut pas tronçonner tout ce qui nous tombe sous la main et surtout, qu'il faut acheter une scie à ruban 🙂 !

Une nouvelle année est passée pour trouver un projet qui correspondrait à la petite valeur sentimentale du bois, au volume disponible et à un nouveau confinement. J'ai donc choisi d'en faire deux tables de chevet pour la famille, ainsi on peut dire qu'on a vraiment tout fait dans ces petits meubles.

La forme de base voulait utiliser ces formes trapézoïdales auxquelles je ne m'étais jamais essayé et qui plaisent bien ces temps-ci. Dans le dessin, je cherchais à alléger un peu le style de pleins panneaux massifs sur les flancs tout en gardant ces caissons plutôt que des pieds. J'ai alors trouvé cette idée de les faire léviter l'un au dessus de l'autre ainsi que le tiroir dans le bloc supérieur. Le rendu "plan éclaté" n'est pas pour me déplaire non plus. Pour renforcer cet effet, le bloc supérieur "déborde" dans toutes les directions par rapport à l'inférieur et les chanfreins obliques combinés au retrait du tiroir ajoutent à cette idée. Le débordement permet aussi, en face arrière, d'empêcher qu'une plinthe ne gêne le pied et assure que la table touche le mur. Enfin, à moitié pour le défi de réalisation et à moitié pour finir d'ajouter à l'impression, j'ai voulu que les flancs du tiroir viennent avec lui lorsqu'on l'ouvre. Ainsi, même en l'ouvrant, on garde un petit mystère quant à la façon dont tout cela vole. C'est très peu conventionnel et il faut bien admettre que c'est au détriment de la praticité du tiroir dans lequel un fourbis en vrac va se vautrer devant les jambages, mais qui a dit qu'on fait les choses pour qu'elles soient utiles ?

N'ayant pas assez d'érable et voulant renforcer le contraste entre les blocs, celui du haut est réalisé en chêne, stocké depuis trente ans également en rab' de la cuisine qu'a fabriqué mon papa. On prend le temps, qu'on vous dit !

La première difficulté de réalisation concerne les coupes d'onglet à angle aigus. Ma scie sur table ne permet pas de les atteindre, pas plus que la scie plongeante. En passant au plan B, j'avais prévu de les scier avec la scie sur table avec ce gabarit à angle permettant d'atteindre les 40,5° de l'angle aigu. Cependant, la trop faible raideur en flexion des panneaux rendait la coupe bien trop imprécise en fin de passe. Avant de sortir le plan C, d'aucuns pourront suggérer que j'aurais simplement pu réaliser un plus grand gabarit de sciage pour avoir toute la largeur plaquée... Mais je n'ai pas eu envie et j'ai cru que le plan C serait tout de même efficace, comme un débutant 😋. J'ai donc réalisé ce traineau pour défonceuse et le guide à angle. Il suffit de basculer le triangle droit sur son autre côté pour assurer d'avoir l'angle parfaitement complémentaire pour les onglets obtus.

Au final le plan C était très précis et a permis de faire les perçages pour les multiples tourillons avec un gabarit de perçage se positionnant par maintes appuis... mais que c'était long ! Presque de quoi inscrire "dominoteuse" sur la liste d'achat d'ailleurs 😉

Une subtilité vient du fait que le meuble est constitué uniquement de panneaux. Le sens du fil de ces panneaux se croise à plusieurs endroits clés : le panneau du fond qui tient tout le meuble et la tablette supérieure qui suspend le tiroir, ainsi qu'entre le panneau du fond et les panneaux horizontaux des caissons et enfin entre la tablette et les jambages qui la maintiennent. Le collage est donc interdit pour laisser les dilatations vivre. Tout cela est donc assemblé purement mécaniquement par gorges en queues d'aronde réalisées à la défonceuse. De plus le panneau du fond est en deux parties qui se chevauchent pour également les laisser se dilater ou se rétracter sans faire apparaître un jour.

L'assemblage se fait donc mécaniquement jusqu'à fermer le caissons : jambages dans la tablette, puis tablette dans les demi-fonds et fond assemblé dans le panneau supérieur du caisson. La colle n'intervient qu'après pour fermer le caisson et le coller contre les flancs du fond sur les arrêtes gauche et droite.

Le collage a été fait en deux étapes. D'abord le caisson supérieur, un peu stressant vu le nombre d'ajustements et de collages à gérer avec le fond puisque tout est un peu hyperstatique. Puis une fois qu'on peut libérer de la place pour les serre-joints, le caisson du bas. Le collage des tourillons dans les panneaux d'érable m'a permis d'observer ce phénomène de dégorgement de la colle par les fibres du bois largement à côté des trous. J'imagine que la colle sous pression par l'enfoncement du tourillon, migre dans les fibres et finit par retrouver la sortie à côté. C'était quasi-systématique et m'a convaincu de taper avec mon plus petit marteau à bomber les vitres !

Bien sûr, "j'ai" tout poncé avant et même traité toutes les faces internes qui devenaient inaccessibles au fur et à mesure du collage. Merci aux petites mains de l'ombre pour cela 😘

Les tiroirs ont été réalisés avant de tout coller car ils doivent s'ajuster avec la tablette qui devient inaccessible. D'autre part ils coulissent dans les jambages de support de ladite tablette et ceci nécessite aussi pas mal d'ajustements.

Les tiroirs sont collés en portefeuille, ayant positionné les arrêtes visibles au papier adhésif puis en refermant l'onglet. Tous les angles des onglets et des dépouilles étant accessible à la scie plongeante, je ne me suis pas fait prier pour l'utiliser ! En revanche, cette méthode de collage et la perte de motivation à construire un énième gabarit de perçage conduisent à ce que l'angle n'est collé que par les faces de l'onglet, sans tourillons. Je n'ai pas eu confiance et j'ai triché, en collant des baguettes à angle à plat-joint par l'intérieur 🙄 ! Le collage du tiroir est fait avec le fond déjà coupé, lequel est cloué-collé en place au même moment pour donner de la rigidité. Enfin, l'arrière du tiroir n'a presque aucune fonction de structure, mais il est là pour tirer le bouquin rangé dans le tiroir et ne pas laisser celui-ci sur place d'un coup sec !

J'étais ravi de la précision d'assemblage et de glissement des tiroirs, j'espère que cela ne va pas trop bouger dans le temps. L'érable a été séché à l'intérieur de l'atelier chauffé pendant 1 an, donc j'y crois !

La fin ne consiste qu'à tout poncer et traiter l'extérieur des caissons. La finition justement est faite au rubio "Soupçon de blanc" pour l'érable et au "Lin" pour le chêne. Le choix s'est fait pour plaire aux propriétaires : mettre en valeur les tonalités différentes des deux essences sans briller, sans "mieller" (avec du naturel par exemple) et en tentant d'éviter le jaunissement de l'érable.

Au final ce fut un joli projet mais dont j'avais un peu bien sous-estimé la longueur. Pas que ça soit compliqué, mais les ajustements à onglets aigus avec le matériel à disposition et avec la qualité visée étaient extrêmement consommateurs de temps. A refaire je pense qu'il faut clairement réfléchir à nouveau à ces méthodes d'usinage... Ou mentir en disant que c'était fait exprès, en éloge à la lenteur 🙂

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Discussions

LaurentBauvir  a publié la création "Tables de chevet lévitantes".
il y a 2 ans
riton
( Modifié )

Un magnifique ouvrage, bravo !

LaurentBauvir

Merci beaucoup riton !

Goulipao
( Modifié )

C’est vraiment beau! J’aime beaucoup l’histoire de ce bois, la réflexion autour de la conception et tous les détails de cette réalisation. (Je pense même m’inspirer de ton « plan C » de coupe d’onglet pour un futur projet!) 👏

LaurentBauvir

Merci Goulipao ! J'ai été inspiré par les tiennes aussi.

Erebor
( Modifié )

Merci pour ce partage ! Ils sont vraiment très beaux

LaurentBauvir

Merci pour ton compliment Erebor, le partage est un plaisir !

dependancesbois
( Modifié )

C'est vraiment superbe, et le récit très intéressant ! Merveilleuse lenteur !
Génial le coulissement des tiroirs je retiens !
Par contre ça ne tient que par le fond ???

LaurentBauvir

Merci dependancesbois ! J'ai du plaisir à écrire, je suis heureux de voir que vous en avez à lire 🙂

Oui, le meuble ne tient que par le fond. Il est aussi chevillé (discrètement) aux endroits stratégiques pour les efforts, après collage. Ca tient bien et c'est rigide, mais c'est sûr que j'y ai réfléchi et y suis allé doucement pour m'assurer que ça irait !

dependancesbois

LaurentBauvir Merci pour ta réponse.

Pascalclochard
( Modifié )

c'est vraiment superbe... quel travail !!! 👏
Merci pour ce partage et ce récit c'est top 👍
Plein de bonne idée à garder en tête

LaurentBauvir

Merci Pascalclochard, c'est très aimable !

Melchior
( Modifié )

la voie m'en tombe!

LaurentBauvir

Tant que tu gardes tes bras pour menuiser 😉 ! Merci.

Jean-Claude Di Fazio
( Modifié )

Tout paraît si simple quand c’est très bien réfléchi et réalisé. C’est superbe.
Pour le vrac dans le tiroir qui risque de gêner les glissières internes, as-tu pensé à placer des « contre-jambages », liés à la face avant du tiroir et permettant de cloisonner les parties coulissantes ?

LaurentBauvir

Merci DinoJC, j'ai effectivement passé quelques heures à réfléchir avant et pendant.

Oui, ton idée est bonne. J'y ai pensé, mais j'avais peur que cela commence à être un peu "lourd" et je dois bien admettre qu'une seule raison a suffit pour ne pas me motiver à ajouter cela. Comme c'est toujours possible de l'ajouter après coup sur le tiroir, peut-être que c'est ce qu'il faudra faire après un peu de retour d'expérience. Finalement, ça peut être très mince et changer la vie, sachant que le tiroir n'est pas si petit !

artiste : Kamwei Fong
( Modifié )

Unbeliebebeule ! Je suis ébahi devant le système d'ouverture des tiroirs, du grand travail !

LaurentBauvir

Sain Qiou Nairod 😉

L'Ecorce du Sycomore
( Modifié )

+oine!

LaurentBauvir

Merci !

Pascal Zanetti
( Modifié )

Je suis vraiment fan bravo !

LaurentBauvir
Neo29
( Modifié )

Bravo !!! C’est quoi ce scotch bleu ?

LaurentBauvir

Merci Neo29.
C'est simplement de l'adhésif de masquage, pour la peinture. Mais il a l'avantage de bien se décoller je trouve.

Simon Ménard
( Modifié )

Du génie !

LaurentBauvir
José Das Neves
( Modifié )

Génial! J'aime beaucoup.
Et cette idée pour le coullissage, très originale .
Il y a une modélisation ou un plan à montrer?
Encore bravo

LaurentBauvir

Merci José Das Neves !
Malheureusement non, il faut encore que je me mette à Sketchup pour partager mes plans.

José Das Neves

Sketchup n'est pas une fin en soit.
Lairdubois accepte aussi les plans fait avec "PaluchCad"😁

Jean-Claude Di Fazio

😂😂

LaurentBauvir

Je suis bien d'accord 🙂

José Das Neves

Mais si vous voulez vous former à l'utilisation de sketchup je vous ai concocté un pas à pas ici

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