Il y a longtemps que je voulais réaliser un cabinet sur piètement, et j'avais besoin d'un meuble de démonstration à présenter sur mes divers marchés, salons et autres expositions.
L'objectif était donc de faire un petit condensé de techniques afin d'illustrer le champ des possibles à d'éventuels futurs clients.
N.B : Je précise que j'ai pris relativement peu de photos, mais que j'ai réalisé des vidéos courtes sur Instagram / Facebook, afin de montrer un peu chaque étape. Vous les retrouverez sur mon compte si vous avez du temps à perdre (il y en a 38...), et si Meta ne les a pas supprimé pour de sombres histoires de droits d'auteur musicaux...
Bref, comme il y a pas mal de choses, je vous divise ça en plusieurs parties.
Le piètement
Je voulais quelque chose d'élancé et ouvert, pour laisser passer la lumière. Quelque chose de sobre aussi, d'épuré. C'est l'idée que je me fais du mobilier "japonais", même si je sais bien qu'il est bien plus varié et complexe que cela.
J'ai donc choisi une structure de 4 montants reliés par des traverses sur divers niveaux.
Dans la profondeur, deux traverses hautes et deux traverses basses. Celles du bas sont reliées par deux autres traverses légèrement courbées, seules courbes du meuble d'ailleurs, qui supportent une petite tablette.
Latéralement, outre ces traverses courbes en bas, il y a deux traverses en haut, superposées et reliées. Elles dépassent de chaque côté et sont taillées dans leur partie haute pour recevoir le bâti du meuble.
L'ensemble est une évocation des Torii japonais, ces passages spirituels aux entrées des temples, dont on a vu de fort beaux exemples sur l'ADB. Ici, c'est la lumière que je voulais laisser passer.
Niveau assemblages, il y a du tenon-mortaise avec épaulements, du mi-bois, et des entailles (traverses du bas). Les mortaises ont été réalisées majoritairement à la mortaiseuse à bédane carré, finies au ciseau : j'ai utilisé du châtaignier pour le piètement, il valait mieux y aller en douceur...
Le bâti du meuble
Il s'agit d'un simple rectangle en chêne massif, et fond en CP 5mm inséré dans une rainure.
Peu de photos ici, je vous renvoie aux vidéos mais vais tenter d'expliquer clairement, et les images du meuble fini illustreront, je l'espère, mes propos.
Chaque côté et dessus/dessous est réalisé à partir de 3 largeurs de chêne corroyées et collées à plat joint. J'ai ensuite réalisé des queues d'aronde à la main. La particularité est qu'il s'agit de queues d'aronde dépassantes, c'est à dire plus longues que l'épaisseur du bois. Ce qui signifie qu'elles ne peuvent pas être poncées/raclées/rabotées après assemblage pour rattraper un décalage (que celui qui ne l'a jamais fait me jette le premier rabot). En revanche, elles apportent du relief au bâti. C'est un choix esthétique assez contraignant, mais c'est sympa à faire.
Elles sont aussi de largeurs inégales, mais symétriques par rapport au milieu de chaque panneau (voir sur la photo ci-après).
Le bâti est collé à la colle d'os, pour apporter un peu de rigidité à l'ensemble, car il ne restera pas vide et je préférais éviter qu'il finisse en parallélogramme...
Ah, et le fond a été découpé à la laser selon le kanji "bois" ou "arbre", toujours dans le but de laisser passer la lumière à travers le meuble.
Les portes
Là, je me suis dis qu'un peu de kumiko, ça rajouterait du challenge ET de la transparence : je ne voulais pas de vitres, mais des panneaux ajourés pour laisser apercevoir l'intérieur du bâti. Et puis les kumikos, c'est quand assez typique du pays du soleil levant, non ?
Je me suis inspiré du travail (remarquable) de Séverine sur sa "lampe shoji". Et le moins qu'on puisse dire, c'est que je respecte infiniment la qualité de son travail, pour en avoir bavé sur cette étape (la gymnastique sur les emplacements des entailles m'a récuré les synapses) !
J'avais déjà réalisé des kumiko asanoha, mais il je voulais quelque chose de rectangulaire, et un motif à angles droit par soucis de cohérence avec le reste du meuble, le piètement notamment.
Les mises à longueur et les entailles ont été faites à la scie sous table, avec un chariot de coupe et en trois passes : les baguettes en tilleul faisaient 5mm d'épaisseur et ma lame de scie 2,5. La troisième passe sert à rectifier le fond (je n'ai pas de lame à denture carrée).
L'assemblage est comme il se doit très ajusté, et sans colle.
Pour le cadre des portes, il est en châtaignier, comme le piètement, et assemblé à coupes d'onglet. J'y ai fait des entailles à la main après collage pour y insérer le kumiko. Puis j'ai rajouté des entailles sur les faces visibles des portes assemblées, et inséré là de nouvelles baguettes en tilleul, pour donner l'illusion d'un entrelacement avec le châtaignier.
Les portes sont enfin fixées au bâti avec des charnières entaillées dans le chêne, et ajustées (j'avais laissé une surcote de 2/10ème sur tout le tour, c'était plus que suffisant). Au final j'ai un très léger voilement sur une des portes, mais il paraît que je suis seul à le voir, alors...
Le caisson intérieur
Dans le bâti, j'ai réalisé un caisson en CP 10mm, assemblé par vis. Ce caisson est amovible pour pouvoir montrer à des clients plus de possibilités (avec ou sans caisson / tiroirs...).
Les chants de la face visible ont été plaqués au thermocollant chêne (bois, pas plastique), au fer à repasser. Je n'avais pas fait ça depuis un bout de temps, mais c'est un jeu d'enfant. Et c'est très rapide.
Le caisson se constitue de 6 logements pour tiroirs, répartis autour d'une niche vide. Cette niche est centrée sur le caisson, donc sur le bâti, donc sur le kanji "arbre" découpé dans son fond. La lumière venant de l'arrière du meuble illumine cette niche centrale, qui elle même est plaquée de manière classique avec du chêne en feuille de 6/10ème (pas d'images du process, désolé, voir les vidéos instagram si vous voulez en savoir plus).
Au final ça donne ça, avec le soleil derrière le meuble :
Les tiroirs
Il y en a 2 grands en haut et en bas du caisson, format suffisant pour ranger une chemise cartonnée contenant du 21x29,7.
Et 4 "petits", sur les côtés de la niche.
Tous les tiroirs, grands et petits, ont la même profondeur et la même hauteur, et sont en châtaignier. Seul le fond est en CP 5mm (des chutes, il y a donc du peuplier pour les grands tiroirs et de l'okoumé pour les petits).
Les assemblages côtés / arrière sont à feuillure, collés (colle forte d'ébéniste) et renforcés par des pointes fines.
Les assemblages côtés / avant sont à queues d'aronde recouvertes (les façades dépassent de 5mm sur tous les pourtour, pour masque partiellement la tranche du caisson et se frôler les unes les autres). Ces queues d'aronde ont été réalisées à la scie à ruban et à la défonceuse, par soucis de temps (méthode José Das Neves dans ses vidéos sur les tiroirs d'ébéniste, merci ! ). Elles sont équarries et ajustée à la main. Encore une fois, le châtaignier n'est pas idéal pour ce travail, surtout sur de faibles épaisseurs, mais j'aime ce bois, que voulez-vous...
Les façades sont plaquées avec une marqueterie. Ici je me suis fait plaisir. J'ai dessiné deux carpes koi semblant nager autour de la niche centrale, puis j'ai découpé le tout à la scie à chantourner / lame 00 et collé ça à la colle d'ébéniste sur les façades (avant assemblage des tiroirs, bien sûr), en laissant une entretoise de l'épaisseur d'une lame de cutter entre les façades.
Les placages utilisés (en 6/10ème) sont du chêne pour le fond (le même que pour la niche), du tulipier, du padouk, du noyer et de l'érable / érable ondé pour les nishikoi.
Le motif est donc découpé, collé à l'envers sur cale tendue pour ajuster les morceaux, puis à l'endroit sur les façades. Méthode classique.
Il m'a ensuite suffit de couper entre les façades pour les séparer et assembler mes tiroirs ensuite. Le motif se continue donc d'une façade à l'autre, qui sont éloignées d'un demi-millimètre maximum...
C'était une première pour moi avec cette méthode, et ça a fonctionné.
Les tiroirs n'ont pas de poignées visibles.
Les poignées sont ici de simple encoches dans les façades, en bordure de la niche centrale. Elles sont quasiment invisibles et préservent la marqueterie en façade des tiroirs. L'inconvénient est qu'il a fallu ajuste chaque tiroir au plus proche des bords de son logement, pour qu'ils coulissent bien et ne se mettent pas "en travers" à l'ouverture. Un peu de paraffine dans les logements achève de rendre leur ouverture / fermeture aisée.
La finition
Pour la finition il me fallait un produit assez résistant : le meuble est amené à bouger pas mal entre chez moi et les lieux de villégiature, en passant par le coffre de la voiture et éventuellement sous quelques gouttes d'eau...
J'aurais pu le vernir, avec un vernis PU costaud... J'aurais pu.
Mais j'ai voulu tester quelque chose de nouveau, et j'étais tombé sur un bidon d'huile-cire Blanchon en promo (sinon c'est honnêtement hors de prix, même si c'est un super produit à mon avis)... C'est parti pour l'huile-cire, au pinceau et au rouleau.
Là encore, désolé, peu de photos, mais la finition pour moi c'est toujours un peu stressant, alors j'ai laissé tourner la vidéo et j'ai oublié de prendre des clichés.
Sur les surfaces planes, aucun soucis. Il faisait chaud ce jour-là, et cette huile-cire durcit assez vite, mais en essuyant rapidement et en étant organisé... Donc, sur le piètement et le bâti, pas de soucis.
Sur les kumiko... Vous me direz, pourquoi avoir voulu traiter les kumiko ? Oui, pourquoi ? Je n'ai pas la réponse. Enfin si, par soucis de préserver le bois de quelques gouttes d'eau éventuelles, peut-être... Mais passer le produit sur chaque face de chaque baguettes de chaque panneau, en veillant à ne pas en accumuler dans les angles (il y a des angles partout, forcément, c'est un kumiko...), à essuyer le surplus au fur et à mesure, ce fut un enfer. Quitte à les traiter, j'aurais dû utiliser une huile simple, type abrasin par exemple, pour cette partie. On ne m'y reprendra plus.
En revanche, après deux couches d'huile-cire, le rendu est vraiment sympa : le veinage du bois est rehaussé, ça brille en restant soyeux, et ça a l'air solide. On verra dans le temps !
Voilà, je vous laisse avec quelques clichés de plus du meuble terminé. Pour plus d'infos, n'hésitez pas à demander, et encore une fois si vous avez du temps pour regarder les vidéos Instagram, elles s'appellent toutes "Je fabrique un nouveau meuble, épisode...", et sont aussi sur mon compte Facebook. Promis, la prochaine fois je prendrai plus de clichés pour ici !!
Bonne journée et bon copeaux à tous !
Discussions
Juste magnifique!
Merci
J'imagine juste le temps passé à la réalisation de ce très bel objet !! Bravo
Merci ! Il y a environ 100 heures de travail sur celui-ci, grâce à l'utilisation des machines à certaines étapes ; sans quoi ç'aurait été plus long
Tout simplement impressionnant, avec plein de photos...
Pas autant que j'aurais voulu (les photos), mais merci
Chapeau !
Belle réalisation !
J'utilise également assez régulièrement du châtaignier.
C'est vrai que dans nos régions (je suis d'Angoulême), il est plutôt facile à trouver et pas très cher…
Je confirme qu'il est assez capricieux et plus délicat à travailler par rapport à du chêne par exemple.
Disons qu'il pardonne moins facilement. Il faut bien lire le veinage avant de présenter le ciseau à bois ou tout autre outil tranchant
Merci ! Et ce bois offre de beaux reflets également je trouve. En Limousin toutes les scieries en proposent en plus